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5. La démocratie interne: le pouvoir aux membres

Nous entrons dans une nouvelle phase de notre histoire. Notre présence à l’Assemblée nationale n’a plus rien d’hypothétique et va sans doute se renforcer. Et il devient même crédible d’envisager la participation, un jour ou l’autre, de QS à un gouvernement. Mais si ces perspectives de croissance sont éminemment encourageantes, elles entraînent aussi de nouveaux défis.

Quelles peuvent être les mécanismes de contrôle démocratique de l’aile parlementaire, ou la place de la démocratie interne dans le cas d’un éventuel gouvernement QS? Comment s’assurer que notre parti soit aussi inclusif et féministe dans ses pratiques que dans ses principes, et qu’il soit le reflet de la diversité populaire? Comment permettre aux membres d’intervenir sur les débats de stratégie politique?

Certes, la démocratie interne de QS a jusqu’ici été très vivante sur certains points: pour l’élaboration du programme et des plates-formes (1), et concernant les alliances électorales. Mais, sur plusieurs     autres volets de notre action politique, la démocratie interne demeure peu développée.

Si la démocratisation des institutions et de l’économie est centrale au projet de QS, il doit en être tout autant pour un parti de gauche, de ses instances et de son fonctionnement interne. Cela est essentiel pour bénéficier de l’intelligence   collective de nos membres et pour favoriser une base militante large et mobilisée. On peut collectivement faire fausse route, mais la démocratie doit toujours avoir le dernier mot.

Renouveler nos instances démocratiques 

Avec l’achèvement de notre programme (2), on peut espérer que nos instances démocratiques vont disposer de plus de temps pour la réflexion    stratégique et l’action de terrain. L’élaboration de campagnes politiques et la prise de positions ponctuelle pourront désormais être mieux réfléchies collectivement, et mises à exécution.

La décision récente (3) de tenir deux Conseils nationaux par année, et un Congrès aux deux ans est prometteuse en ce sens. Cela ne doit pas être vu comme une démocratisation trop poussée qui priverait les associations d’un temps important pour l’action terrain. Au contraire, en plus de  favoriser des décisions plus éclairées, cette pratique va favoriser l’appropriation par les membres des stratégies et des campagnes.

Cela serait d’autant plus facilité par des canaux de communication et de discussion « horizontaux » entre les membres et entre les associations, en amont et en aval de ces instances. Cette pratique permettrait de briser davantage l’isolement, tout particulièrement entre les associations à Montréal et ailleurs au Québec. De plus, des moyens visant à faciliter des espaces de débat démocratique au niveau régional sont également à encourager. Ces moyens doivent faire qu’en pratique, la voix des membres en région compte autant que celle des membres de Montréal.

Enfin, cette réappropriation démocratique des enjeux sera facilitée par une meilleure reddition de comptes de la part du CCN, lequel ne doit pas avoir peur d’ouvrir aux membres ses débats internes.

QS pourra ainsi démontrer dans sa pratique le dépassement entre les tâches de conception et d’exécution, entre travail intellectuel et « manuel ». Cette division est à la source de notre aliénation par rapport à l’économie et à nos institutions. C’est en participant au développement des capacités démocratiques de ses membres que QS va le mieux les préparer à la rupture démocratique de demain.

Éviter la bureaucratisation 

La croissance d’une organisation politique implique en général la mise sur pied d’un appareil professionnel, pour réaliser une série de tâches quotidiennes. Cela nécessite l’embauche de personnes permanentes et une certaine spécialisation, afin d’accroître notre efficacité organisationnelle. Cette réalité tend néanmoins à produire un phénomène plus large: le développement de différents « centres de pouvoir ». Par la force des choses, l’équipe parlementaire, l’équipe des communications, l’équipe de la permanence, le CCN et le comité exécutif sont autant de centres de pouvoir qui exercent des pressions diverses à la centralisation du parti.

Le problème devient réel lorsque ces centres tendent à devenir des centres autonomes d’initiatives qui définissent les politiques et le profil du parti. Il n’y a là ni malveillance, ni mauvaise volonté. Rien d’implacable non plus. Il faut cependant vouloir échapper à la « loi d’airain de l’oligarchie » (R. Michels). C’est possible.

Le remède à ces tendances est de garantir la participation des membres aux décisions stratégiques les plus nombreuses et d’assurer une reddition des comptes bien comprise. C’est pourquoi nos instances démocratiques doivent pouvoir définir nos priorités, et donner ainsi des mandats clairs à nos élu.e.s et à la permanence salariée pour être le mieux possible au service des décisions collectives. On pourrait aussi envisager une « instance intermédiaire » qui assurerait un suivi de la mise en oeuvre des mandats.

Il faut également se pencher sur les nombreux « comités ad hoc », établis au gré des besoins par le CCN pour assurer une série de tâches plus spécifiques. Outre leur transparence, il faut aussi repenser la façon dont sont choisies les personnes qui les composent (souvent par désignation ou cooptation) (4).

Le cas du comité électoral national de QS est particulièrement éclairant. Son rôle est capital pour un parti politique. Pourtant sa composition n’est jamais débattue, ne fait pas l’objet d’élection et n’est pas rendue publique. Ce comité ne comprend pas ou peu de membres en dehors de la région de Montréal. Soyons clairs: les qualités des personnes qui composent ce comité sont sans doute excellentes. Et nous comprenons qu’il y a des considérations tactiques à ne pas dévoiler sur la place publique à nos adversaires l’ensemble de notre plan électoral. Reste que nous aurions à gagner à mieux baliser démocratiquement sa  mise sur pied, de même qu’à prendre part collectivement à l’élaboration des stratégies électorales.

Repenser la démocratie interne: nos propositions

Discussion de la stratégie nationale, des campagnes politiques à mener (et leurs moyens), et des orientations budgétaires du parti, lors des Conseils nationaux. Élaboration d’analyses communes de la conjoncture.
  • Augmenter les espaces de dialogue en dehors des instances nationales, entre les membres et entre les associations. L’information interne doit être fluide et permettre l’établissement de liens horizontaux entre les différentes régions tant sur les pratiques que sur les prises de position. Intégrer davantage les nouvelles technologies pour élargir la participation démocratique. 
  • Formation: que tous les membres, incluant le personnel de QS, reçoivent une formation sur le programme de Québec solidaire, que cette formation soit développée en collaboration avec la Commission politique. 
  • Comités « ad hoc »: que les membres soient informé.e.s de l’existence de ces comités (« ad hoc » parce que créés par le CCN au gré des besoins) et des membres qui les composent. Que l’élection des membres de ces comités soit la   règle et non l’exception, en respectant la parité. 
  • Représentation hors Montréal obligatoire dans le CCN. Faciliter la participation des membres de l’extérieur de Montréal aux travaux de niveau national. 
  • Octroyer plus de ressources aux responsables du CCN et aux groupes militants. Outre la mobilisation, accorder des moyens à la formation aux membres, à la Commission politique et aux   membres des commissions thématiques (personne salariée pour soutenir les responsables, les CT, les comités ou groupes de travail). Communication régulière aux membres sur les différents lieux et moyens de s’impliquer. 
  • Faire le bilan des nouvelles pratiques de démocratie participative pour donner plus de pouvoir aux citoyennes et citoyens face à leur députée ou député, afin que certaines mesures fassent partie des engagements des personnes candidates pour QS aux élections. 
  • Inclusion et participation: Dans une approche d’intersectionnalité, donner toute leur place aux personnes minorisées (femmes, personnes racisées, travailleurs et travailleuses) dans les postes de responsabilités du parti, dans les candidatures aux élections, dans le choix de porte-parole des militantes et des militants. Mettre en place des mécanismes pour favoriser la participation des personnes moins scolarisées.

Orienter collectivement l’aile parlementaire

Il y a une tendance lourde dans l’histoire: plus   les partis politiques font élire de député.e.s,  plus l’aile parlementaire tend à devenir autonomes face au contrôle démocratique d’un parti. Et lorsqu’il s’agit de former un gouvernement, la centralisation parlementaire atteint son sommet. Pour des raisons « d’efficacité » (rapidité des décisions à prendre  et des réactions aux événements), la « tête » du parti s’éloigne de sa base. Et ce faisant, elle devient plus perméable aux pressions des       pouvoirs les mieux organisés dans la société.

Il ne s’agit pas ici d’un procès d’intention envers nos député.e.s, qui font dans l’ensemble un travail extraordinaire. Mais à l’inverse, il n’y a aucune raison de penser que ce problème ne se posera pas, alors qu’on l’observe si souvent ailleurs. Car il faut s’entendre sur le fait que la politique est beaucoup plus une question de rapport de forces qu’une question de vertu personnelle. C’est pourquoi nous devons collectivement nous pencher sur le rôle de l’aile parlementaire, et les balises démocratiques qui pourraient régir son fonctionnement. Voici un ensemble de questions qui pourraient orienter notre réflexion:
  • Quels doivent être le degré d’arrimage et le degré d’autonomie de notre aile parlementaire face aux membres et à nos instances nationales?
  • Quel doit être le rôle de notre aile parlementaire, selon l’évolution de sa taille (très minoritaire comme aujourd’hui, groupe officiel, opposition officielle). Faut-il favoriser une fonction tribunicienne (profiter de la tribune parlementaire pour faire passer des messages forts), ou se concentrer sur les microréformes que permet le jeu parlementaire actuel?
  • Que peut faire l’aile parlementaire dans son rôle de relais des mouvements sociaux, des revendications populaires, et jusqu’où peut-elle aller?
  • Qu’est-ce qu’impliquerait un gouvernement de coalition, ses problèmes et ses avantages? (Faire le bilan des expériences passées.)
  • Comment renforcer les collaborations avec la Commission politique? Les efforts des dernières années, pour améliorer le rapport entre les recherchistes, l’aile parlementaire et la Commission politique, sont à saluer et pourraient s’amplifier en donnant à celle-ci des moyens de fonctionnement. Comment prioriser les interventions de nos PP face au tourbillon de nouvelles des médias de masse? (Une façon d’orienter démocratiquement notre aile parlementaire est de l’inscrire dans les campagnes politiques choisies collectivement par QS.)
  • Comment assurer un lien, en pratique, entre l’aile parlementaire et le reste du parti, pour éviter un « cercle fermé » entre les personnes travaillant à l’Assemblée nationale?
  • Comment renouveler les liens entre personnes élues et citoyen.ne.s , pour  subordonner la démocratie représentative à la démocratie participative? Les efforts de Manon et de  Gabriel, à cet égard, doivent être soulignés et analysés, pour voir comment les élargir (5).
Tout ceci ne doit pas être vu comme une méfiance démesurée envers notre aile parlementaire. Plusieurs des remarques ci-dessus rencontrent d’ailleurs des préoccupations émises par des membres de notre équipe à l’Assemblée nationale, qui eux-mêmes se sentent parfois coupés du   parti.

La démocratie de parti en période de « prise de pouvoir »

Enfin, il faut pouvoir contrer la centralisation parlementaire qui tend à devenir presque totale de former le gouvernement. Or, c’est à ce moment que les défis stratégiques deviennent d’une intensité politique sans précédent, et que les pressions de toutes parts fusent pour faire plier la volonté. C’est à ce moment que la démocratie interne d’un parti doit le plus pouvoir résister. C’est d’ailleurs la leçon de démocratie interne à laquelle nous avons fait référence dans le cas de Syriza.

Des mécanismes de convocation des instances démocratiques doivent être enchâssés dans les statuts. Néanmoins, le parti pris démocratique d’une direction politique au sommet demeure incontournable. Nous croyons donc que nous devons discuter au plus tôt de ces éventualités, au regard des expériences historiques passées.

Pour un parti populaire

En théorie, QS est le parti de l’inclusion. Mais cela se reflète-t-il bien dans nos structures? Un parti politique de l’émancipation ne peut se construire et se renforcer que s’il incarne dans ses structures la diversité de la population. En pratique, l’élargissement de notre parti peut aussi être vu comme un instrument de la construction du pouvoir populaire.

Mais pour cela, il faut penser en amont à la composition de notre parti. Si on laisse les choses  aller sans effort concerté, il y a fort à parier que nous allons continuer à accueillir principalement des personnes plus éduquées que la moyenne, peu racisées, urbaines, masculines, actives dans le domaine des services et en particulier le service aux personnes. La composition sociologique de notre parti est donc un enjeu politique à traiter.

Ne pas se poser cette question sur la diversité de nos membres peut ainsi reproduire certaines inégalités qui traversent notre société. En ne prenant pas au sérieux ce qui peut limiter activement leur intégration et participation dans notre parti, cela va continuer à nous éloigner d’un enracinement plus profond au sein de la majorité populaire.

Faire toute la place aux groupes discriminés

Pour y arriver, il faut donner toute leur place aux membres des groupes dominés et des classes   populaires (travailleurs.euses, femmes, membres de minorités racisées), dans nos débats internes, aux postes de responsabilités du parti, en passant par les candidatures aux élections et dans le choix de nos porte-paroles.

Il ne faut toutefois pas oublier les contraintes systémiques qui pèsent sur la participation de ces groupes dominés. De plus, c’est sans doute par l’enracinement de nos luttes au sein de ces couches sociales que nous parviendrons le mieux à ce que ces   personnes voient QS comme leur véhicule de  lutte et d’émancipation.

Signalons encore que malgré des efforts louables sur le front de la parité, la participation des    femmes n’est pas encore toujours égale à celle des hommes. Cela témoigne du fait que la contrainte d’un travail mal payé et précaire, ainsi que les tâches domestiques reviennent encore trop majoritairement aux femmes.

Qui plus est, la culture politique dominante favorise les hommes par rapport aux femmes quand vient le temps de s’impliquer de manière active politiquement. Mentionnons aussi la faible présence dans nos rangs de personnes racisées, de personnes dont le français n’est pas la langue maternelle, des autochtones et de personnes vivant avec un handicap.

L’expérience passée des caucus de femmes peut nous fournir une piste de réflexion. Autour de l’intersectionnalité, les procédures de discrimination positive peuvent aussi nous inspirer.

Il y a un large champ d’expériences à étudier et à enrichir sur ces sujets. Les modèles de consultation des membres avant les instances nationales du parti semblent adaptés à des personnes fortement scolarisées (ce qui est le cas de la majorité des membres de QS), mais pas forcément à la  minorité moins scolarisée de nos membres, encore moins à la population générale. Ceci recrée sans doute les inégalités de participation dénoncées au sein de la démocratie représentative.

Enfin, comment également mieux intégrer la   participation des membres à l’extérieur de    Montréal ? Car au-delà d’une relative représentativité dans nos grandes instances nationales,  peut-on envisager d’occuper un poste au CCN, ou être salarié de QS, et vivre à Rimouski ou  au Lac-Saint-Jean?

(1) Les membres ont bel et bien leur mot à dire sur le long catalogue de nos plates-formes. Il n’y a par contre pas de discussion collective sur les quelques priorités à privilégier dans une campagne électorale, en fonction de la conjoncture du moment.
(2) Ceci n’interdit pas d’éventuelles clarifications ou approfondissements du programme. Mais il faut éviter de se lancer dans un autre 10 ans de révision du programme, ce qui nous priverait d’un temps précieux pour un militantisme renouvelé.
(3) Mai 2016, modification des statuts nationaux de QS.
(4) La désignation consiste à choisir les membres d’un comité sans recours à un processus électif, par la seule autorité de la personne responsable. La cooptation consiste, pour les personnes membres d’une instance, à se désigner entre elles, ou à choisir parmi elles une personne pour les représenter à un autre niveau .
(5) Ceci implique aussi de réfléchir aux avancées et limites de ce qu'on entend par démocratie participative.

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